Maître Corinne Giudicelli-Jahn
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CRISE FRANCO - ALGERIENNE : Quelles conséquences pratiques sur les ressortissants algériens ?


La relation entre la France et l’Algérie reste marquée par des tensions récurrentes et d’actualité, qui se traduisent concrètement dans la vie des ressortissants algériens installés en France ou désireux de s’y rendre. Trois points cristallisent aujourd’hui les enjeux : la régularisation sur le fondement des métiers en tension, la question des passeports consulaires, et l’évolution de la délivrance des visas pour les algériens vers la France.

 1. Régularisation par les métiers en tension : un espoir incertain pour les Algériens ?

Depuis la loi immigration du 26 janvier 2024, une régularisation exceptionnelle est prévue pour les travailleurs étrangers sans-papiers occupant un emploi dans un métier en tension. Cette possibilité a été précisée par la circulaire du 22 mai 2025, qui encadre les critères d’appréciation par les préfectures comme expliqué dans un précédent article “NOUVELLE VAGUE DE MÉTIERS EN TENSION”.

Ce que prévoit la circulaire :

  • Régularisation possible sans l'accord préalable de l'employeur

  • Justifier de 3 années de présence sur le territoire français

  • Justifier de 12 mois de travail effectif sur les 24 derniers mois, dans un métier reconnu en tension

  • Présenter une promesse d’embauche ou un contrat en cours

  • La situation personnelle et l’intégration seront également prises en compte (maîtrise du français, absence de menace à l’ordre public, etc.).

Et les Algériens ?

L’application de la circulaire reste incertaine pour eux, en raison de l’Accord franco-algérien de 1968, qui régit de manière autonome le séjour des Algériens. Certaines préfectures estiment que la régularisation des Algériens doit continuer à se faire dans le cadre de cet accord, en excluant donc l’application de la circulaire.

Dans les faits, l’appréciation se fait par le Préfet en application de pouvoir discrétionnaire, en fonction de la situation du requérant.

2. Passeports consulaires algériens : un nouvel obstacle à l’éloignement ?

Le 17 juillet 2025, Monsieur Bruno Retailleau a affirmé que le consulat d’Algérie à Toulouse délivrait désormais des passeports consulaires à “des Algériens clandestins”, en lieu et place des anciennes attestations d’identité. Selon lui, cela constituerait une manœuvre pour entraver les expulsions, car ces documents ne seraient pas reconnus par les autorités françaises comme valables pour le retour au pays.

Mais est-ce vraiment un problème pour l’État français ?

Juridiquement, ce n’est pas  la nature du document qui bloque l’éloignement, mais l’absence de coopération consulaire. Pour expulser un ressortissant étranger, la France doit obtenir un laissez-passer consulaire, signé par l’ambassade ou le consulat du pays d’origine. 

Or, c’est précisément le faible taux de délivrance de laissez-passez de la part de l’Algérie qui avait justifié en 2021 la réduction drastique des visas.

En réalité, le passeport consulaire est un document plus sécurisé qu’une simple attestation, mais il ne vaut pas laissez-passer s’il est délivré sans validation du retour. 

Les propos de Monsieur Retailleau relèvent donc davantage d’un débat politique que d’un blocage administratif nouveau. Cela dit, ils traduisent une persistance de la méfiance entre Paris et Alger sur les questions migratoires.

3. Visas vers la France : quelles conséquences sur les chiffres ? 

C’est l’un des aspects les plus visibles de la crise franco-algérienne. 

Dès septembre 2021, la France a décidé de réduire de 50 % le nombre de visas accordés à trois pays du Maghreb dont l’Algérie en raison des difficultées pour expulser leurs ressortissants sous obligation de quitter le territoire français (OQTF). 

En conséquence :

  • En 2021, la France a délivré 69 408 visas à des Algériens, contre 297 104 en 2019, soit une baisse de plus de 75 % en trois ans.

  • En 2024, 250 095 visas ont été délivrés aux ressortissants algériens, contre 209 723 en 2023, soit une progression de 19,3 %. 

Depuis fin 2022, la France a annoncé une normalisation progressive des relations consulaires, et les restrictions sur les visas ont été partiellement levées. Toutefois, le filtrage reste strict, notamment sur les séjours longs, les étudiants, et les visites familiales. Les refus restent fréquents, parfois sans motif clair, et les délais s’allongent, notamment dans les consulats de France dans les grandes villes d’Algérie (Oran, Alger, Annaba).

L'augmentation des visas délivrés aux Algériens en 2024 marque un retour à un niveau plus élevé après la réduction drastique opérée en 2021 et 2022 pour des raisons diplomatiques. La France avait alors diminué de moitié le nombre de visas accordés aux ressortissants d'Algérie, du Maroc et de Tunisie.

4. Vers un effondrement des accords franco-algériens ?  

Monsieur Bruno Retailleau aurait annoncé ce 23 juillet 2025 la suppression des privilèges diplomatiques pour 80 hauts dignitaires algériens en France qui ne pourront alors plus circuler librement et devront se régulariser comme tous les ressortissants algériens. Cette annonce a d’ailleurs été accueillie plutôt favorablement par le peuple algérien. 

Cette mesure, en opposition avec les positions du ministre des affaires étrangères et du Président, s'annonce pour l'entourage du Ministre de l'intérieur comme une remise en cause des accords de 1968 et une volonté de durcissement des politiques liées aux algériens en France, ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur les ressortissants concernés. 

Ce sujet devrait prochainement être mis sur la table lors d’un entretien entre Emmanuel Macron et son ministre.

Ainsi, entre nouvelle régularisation, incertitudes consulaires et politique de visas fluctuante, les ressortissants algériens vivent toujours sous le signe d’un traitement ambivalent. Si la volonté politique d’apaisement est affichée, la réalité administrative reste marquée par des critères de plus en plus stricts. L’accord franco-algérien de 1968, longtemps protecteur, apparaît aujourd’hui comme un cadre à la fois spécifique et incertain.


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